vendredi 25 mai 2007

3. Les ossuaires et leurs inscriptions : correspondent-elles à la famille de Jésus de Nazareth ?

Six des dix ossuaires découverts dans le tombeau de Talpiot portent des inscriptions de noms. Les noms sur les cinq premiers sont en Araméen, le sixième est inscrit en Grec. La question qui nous intéresse est à savoir si les noms inscrits sur les ossuaires correspondent à la famille de Jésus telle que nous la connaissons dans le Nouveau Testament. Nous abordons maintenant chaque ossuaire plus en détail :

1. L’ossuaire IAA 80/505 : « Mariah ».

Aussi bien dans le livre que sur le site, les auteurs prétendent que l’inscription du nom « Marie » est la version latine du nom biblique Myriam en lettres hébraïques. (1) Est-ce que la mère de Jésus était appelée du nom latin de « Marie » dans la vie de tous les jours ? Dans les Evangiles et dans les Actes des Apôtres, tous rédigés en Grec vers les années ’60 du premier siècle, apparaissent deux noms pour Marie : 1) « Mariam », la translittération du nom hébreu en Grec, et 2) « Maria », le nom grec de Marie. Il est remarquable que le nom hébreu de « Mariam » (13 fois) est plus fréquent que le nom grec de « Marie » (11 fois). (2) « Mariam » apparait clairement comme le nom par lequel l’on s’adressait à Marie : « Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Mariam ? » (Mt. 13 : 55). Depuis le récit de la naissance de Jésus jusqu’à la dernière mention après l’ascension, Marie est appelée « Mariam » (3) Il n’y a pas de place pour la version latine du nom de Marie, qui, important à savoir, n’est pas identique du tout au nom grec de Marie. (4) Les Juifs d’Israël parlaient essentiellement l’Araméen, certaines couches cultivées aussi le Grec, mais le latin était la langue des occupants romains. Dans la famille de Jésus de Nazareth, il n’y a pas de place pour le latin comme base du nom de "Mariah".
Deux possibilités nous sont ouvertes :
1) "Mariah" est une transcription araméenne du nom latin de "Maria" : alors il ne s'agit pas de la mère de Jésus. Dans ce cas, cet ossuaire n'est pas celui de la Marie biblique.
2) "Mariah" est une transcription araméenne du nom grec de "Marie" : la possibilité existe qu'il s'agisse de la mère de Jésus, l'ossuaire peut être celui de Marie.

2. L’ossuaire IAA 80/503 : « Jeshua ( ?) bar Joseph »

Cet ossuaire se trouvait à côté du précédant, ce qui suggère que Mariah et Joseph étaient mariés. Alors nous avons une famille composée des parents Joseph et Mariah, avec leur fils Jésus, comme la famille de Jésus de Nazareth.
Un problème important est la lecture de l’inscription. Il n’est pas sûr du tout certain que c’est le nom de « Jésus » qui figure sur l’ossuaire. Même pour les archéologues de référence, A. Kloner et L.Y. Rahmani, qui ont lu le nom comme « Jeshua » il reste un élément de doute qu’ils expriment par un point d’interrogation à côté du nom. (5) Stephen Pfann, un expert en épigraphie de Jérusalem, pense qu’il s’agit du nom de « Hanun ». (6) Le Dr. Craig Evans n’est pas sûr non plus qu’il s’agit bien du nom de « Jésus ». (7) L’inscription sur l’ossuaire en écriture sémitique ancien est très difficile à déchiffrer.
Il y a donc bien un élément de doute : il n’est pas certain qu’il s’agit de « Jésus fils de Joseph », il pourrait aussi bien s’agir d’un « Hanun fils de Joseph » !

3. L’ossuaire IAA 80/502 : « Matia »

Le nom de « Matia » fait penser à « Matthieu », un des douze apôtres de Jésus. Il est appelé aussi du nom de Lévi (Marc 2 : 14). Il n’est pas mentionné parmi les frères de Jésus et, originaire de Capernaüm, aucun lien familial n’est évident. Comme les tombeaux dans les rochers étaient d’ordre familial, les apôtres n’y ont pas été enterrés. La présence de l’ossuaire de « Matia » ne correspond pas à la famille de Jésus de Nazareth.

4. L’ossuaire IAA 80/504 : « Josah »

Ce nom « Josah » ou « Joseh » est une variante du nom de Joseph, nom particulièrement fréquent porté par plus de 8 % des hommes. Souvent le père donnait son nom à un de ses fils (cf. Luc 1 : 59 – 63 : tous les proches sont étonnés quand Zacharie appelle son fils du nom de « Jean »). Trouver dans une famille un père et un fils Joseph (avec une légère variante pour le fils) n’a rien d’exceptionnel. Dans le NT, le nom de « Joseph » (Matthieu 13 : 56) ou de « Joses » (Marc 6 : 3) est donné à un des frères de Jésus.
Il y a pourtant un problème d’identification : sur l’ossuaire le nom est écrit avec les consonnes « JSH » et dans les textes bibliques il s’agit de Joseph (Mt. 13 : 56) ou de Joses (Mc 6 : 3, 15 : 40, 47). La dernière consonne est différente. Cette difficulté est particulièrement soulevée par le professeur Craig. (8) En même temps, la comparaison entre les textes de Matthieu et de Marc montrent qu'une seule et même personne était appelée « Joseph » ou « Joses » : ce dernier nom est donc clairement une variante du premier, pas un tout autre nom comme suggéré par le professeur J. Tabor. (9) Sa prétention que le nom araméen très rare « Josah » n’a été retrouvé qu’à une seule et unique occurrence, c’-à-d. dans l’Evangile de Marc (« Joses » en Grec) n’a aucun appui vu la différence des consonnes. Sur ce point, le livre mène le lecteur en erreur.

5. L’ossuaire IAA 80/501 : « Jehudah bar Jeshua »

Le cinquième ossuaire porte l’inscription « Juda fils de Jésus ». Dans les Evangiles, rien n’est dit d’un éventuel mariage de Jésus (ce qui ne pose aucun problème théologique), encore moins d’enfants ou d’un fils « Juda ». Les pères d’Eglise ne mentionnent aucune descendance de Jésus de Nazareth et le professeur Richard Bauckham remarque à juste titre qu’un éventuel fils de Jésus aurait certainement été exploité par les Gnostiques pour défendre leurs positions ésotériques. (10) La conclusion est claire : l’inscription de cet ossuaire ne correspond pas du tout à la famille de Jésus de Nazareth.

6. L’ossuaire IAA 80/500 : « Mariamenou e (?) Mara »

C’est l’ossuaire qui compte le plus dans l’hypothèse de l’équipe de Monsieur Jacobovici. Pour lui il a le sens de « (Ceci est l’ossuaire) de Mariamne, alias le Maître ». Il s’appuie sur les Actes de l’apôtre Philippe, un texte gnostique daté au plus tôt du 4 siècle. Selon le professeur Bovon, « Mariamne », la sœur de Philippe, serait la très connue « Marie-Madeleine » des Evangiles. D’autre part, il cite l’épigraphiste Tal Ilan, pour qui le nom « Mara » signifie soit « Maître », soit « Seigneur » en Araméen. Entre les deux se trouve un petit trait qui a été lu comme « ou, alias ». Pour les auteurs « Mariamne » était une variante grecque de Marie-Madeleine dès le début du christianisme, elle était originaire de la région de la mer de Galilée, parlait le Grec et était la dirigeante des apôtres. (11)

Beaucoup d’objections se dressent contre cette lecture :

1) Tout d’abord, remarquons que l’inscription est en grec. Il y a discussion sur la présence de la conjonction « ou, alias » (une seule lettre en grec : êta), mais s’il est bien présent alors il faut respecter la cohérence linguistique. Le premier nom est grec, la conjonction est grecque, alors la suite ne peut qu’être grecque aussi. La cohérence de l’emploi de la même langue exclut un sens araméen du mot « mara ». Ceci serait possible si tout était rédigé en araméen, mais cela n’est pas le cas.

2) Le professeur Stephen Pfann lit l’inscription comme « Mariame et Mara » qui désigne deux femmes différentes enterrées dans le même ossuaire à des moments différents. Le nom "Mara" est une abréviation du nom de "Martha". Il n’y a plus rien qui soutient l’identification avec Marie-Madeleine ! (12)

3) Le professeur Richard Bauckham a démontré :
(1) que Marie-Madeleine était appelée « Maria » dans les écrits du premier siècle, également « Mariamme » dans des écrits gnostiques à partir du deuxième siècle ;
(2) que le nom « Mariamne » est une déformation de « Mariamme » apparue au début du 3e siècle dans un contexte hors d’Israël ;
(3) que « Mariamenou » vient du nom de « Mariamenon » qui est un diminutif affectif du nom « Mariamene ».
Ainsi il a établi que le nom « Mariamne » mentionné dans les Actes de Philippe ne provient pas du nom figurant sur l’ossuaire « Mariamenou », mais du nom « Mariamme ». Il n’y a pas de rapport entre « Mariamenou » et « Mariamne » qui est identifié à Marie-Madeleine (13).

4) Le nom « Mariamenon » est un diminutif affectif du nom grec de « Mariamene », ce qui implique qu’il a pu naître uniquement dans une famille parlant le Grec. (14) Ceci ne correspond pas du tout à la famille de Jésus de Nazareth !

5) Le professeur Ben Witherington note que Marie-Madeleine a toujours été nommée du nom « Maria » au premier et au deuxième siècle, jamais du nom de « Mariamene ». (15) Il devient donc impossible d’identifier l’inscription de l’ossuaire avec la personne de Marie-Madeleine.

6) Jodi Magness évoque qu’il n’existe aucune confirmation du premier siècle que Marie-Madeleine était la dirigeante de l’Eglise chrétienne. D’autre part, elle venait de la petite ville de Magdala sur les rives Ouest du Lac de Galilée : dans ce village de pêcheurs, le Grec n’était pas une langue courante ! (16)

7) M. Jacobovici et son équipe se basent sur les Actes de l’apôtre Philippe. Dans ce texte il n’est pas clair si Mariamne la sœur de Philippe est bien la même personne que Marie-Madeleine du Nouveau Testament. Dans le dernier chapitre, Philippe subit le martyre sous la 8e année de l’empereur Trajan, c’-à-d. en l’an 105. Mariamne partit vers le fleuve Jourdain : elle s'est donc rendue dans son pays d'origine où elle est décédée plus tard. Si Mariamne était Marie-Madeleine, elle aurait été plus que centenaire ! Si elle est décédée après l'an 105, il est impossible qu'elle ait été placée dans un ossuaire à Jérusalem, pratique disparue suite à la chute de la ville en l'an 70 ! (17)

8) Et la cerise sur le gâteau n’a encore été relevée par personne jusqu’ici : dans les Actes de l’apôtre Philippe, Mariamne a dépassé la gloire de l’apôtre Philippe, « parce qu’elle ne s’est pas livrée à la procréation » ! Elle s’était entièrement habillée comme homme afin de ne pas être reconnue comme femme et ne pouvait se conformer à la « pauvreté » d’Eve : elle devait s’abstenir des relations sexuelles pour ne pas transmettre le mal par l’hérédité. (18). M. Jacobovici identifie Mariamne des Actes de l'apôtre Philippe à Marie-Madeleine, mais elle ne s’est pas livrée à la procréation : elle ne convient ni comme l’épouse de Jésus, ni comme mère de leur fils Juda !

Conclusion : l’identification de Mariamenou à Marie-Madeleine est totalement impossible, même les Actes de l'apôtre Philippe s'opposent aux prétentions de l’équipe de M. Jacobovici.

Appréciation générale :

Quatre noms correspondent à la famille de Jésus de Nazareth : celui de Joseph, de Marie (si d'origine grecque), de Jésus et de Josah (parce qu’une variante du nom de Joseph).

Le nom de Jésus dans l’inscription « Jésus fils de Joseph » est incertain, pourrait être lu « Hanun ».

Les inscriptions « Juda fils de Jésus », « Mariah » (si d’origine latine), « Matia » et « Mariame et Mara » ne correspondent pas à la famille de Jésus de Nazareth.

Et où sont les autres frères et sœurs de Jésus : Jacques, Simon, Jude, Marie et Salomé ?

Manifestement, cette famille ne correspond pas à ce que nous savons de la famille de Jésus de Nazareth.

Toutes les évidences attestent que le tombeau de Talpiot appartenait à une famille quelconque de Jérusalem du 1er siècle.

Emile Carp

(1) Le Tombeau de Jésus, Simcha Jacobovici & Charles Pelligrino, p. 40, Editions Michel Lafon, 2007, site web
http://www.jesusfamilytomb.com/holy_family/mary.html
(2) « Mariam » (nom hébreu translittéré en Grec) : Mt. 13 : 55, cf. Luc 1 : 27, 30, 34, 38, 39, 46, 56 ; 2 : 5, 16, 19, 34, Actes 1 : 14. « Maria » (nom grec) : Mt. 1 : 16, 18, 20 ; 2 : 11 ; 27 : 56 ; Mc. 6 : 3 ; 15 : 40, 47 ; 16 : 1 ; Luc 1 : 41, 24 : 10. Dans les traductions bibliques françaises, la différence n’apparaît pas.
(3) M. Jacobovici écrit « la mère du Seigneur est toujours désigné par le même nom : Maria. Il n’est jamais question de Myriam … » (op. cit. p. 272). Ceci est faux : dès les années ’60, la mère du Seigneur est appelée « Mariam » dans trois livres bibliques, et ce nom est manifestement la translittération de son nom usuel.
(4) Prof. R. Bauckham, The Alleged Jesus’ Family Tomb,
http://www.christilling.de/blog/2007/03/guest-post-by-richard-bauckham.html
(5) Dr. Craig A. Evans, The Tomb of Jesus and Family ? Second Toughts. http://www.craigaevans.com/tombofjesus.htm
(6) The Jesus Family Tomb, Fact or Fiction ?, http://www.y-zine.com/tomb.htm
(7) Dr. Craig A. Evans, The Tomb of Jesus and Family ? Second Toughts. http://www.craigaevans.com/tombofjesus.htm
(8) Idem
(9) Le Tombeau de Jésus, Simcha Jacobovici & Charles Pelligrino, p. 100 – 101, Editions Michel Lafon, 2007. (nous soulignons)
(10) The alleged « Jesus family tomb », http://www.christilling.de/blog/2007/03/guest-post-by-richard-bauckham.html
(11) Le Tombeau de Jésus, Simcha Jacobovici & Charles Pelligrino, p. 43, 113, 142 – 144, Editions Michel Lafon, 2007. (nous soulignons)
(12) Mary Magdalena is now missing : a corrected reading of ossuaries CJO 701 and CJO 108, Stephen J. Pfann, Ph.D., University of the Holy Land, 2007.
http://www.uhl.ac/MariameAndMartha/
(13) Prof. R. Bauckham, The Alleged Jesus’ Family Tomb,
http://www.christilling.de/blog/2007/03/guest-post-by-richard-bauckham.html
(14) Idem
(15) Problems Multiply for Jesus Tomb Theory, Ben Witherington, http://benwitherington.blogspot.com/2007/02/problems-multiple-for-jesus-tomb-theory.html (16) Has the Tomb of Jesus been Discovered, Jodi Magness, 5 Mars 2007 : http://www.sbl-site.org/Article.aspx?ArticleId=640
(17) Actes de l’apôtre Philippe, Fr. Amsler, Fr. Bovon et B. Bouvier, Brepols 1996, p. 221 et 240. Rien dans le texte des Actes de Philippe n’indique que Mariamne serait retournée à Jérusalem où elle aurait fini ses jours (cf. Le Tombeau de Jésus, p. 273 : fausse affirmation).
(18) Idem, introduction p. 61 – 62, texte chapitre VIII. p. 176 – 179 + note 339

2 commentaires:

mike a dit…

merci pour toutes ces infos et recherches

Salutations
mike bar

Anonyme a dit…

Dans un e-mail reçu le 29 Mai, le professeur Stephen Pfann (University of the Holy Land) écrit :

"Je ne crois pas qu'il y ait la moindre évidence que Marie soit un nom latin. L'on pourrait envisager la possibilité d'une forme grecque, mais même cela est hypothétique parce qu'il n'est utilisé parmi la population juive que jusqu'à l'apparition du christianisme."